Il fait encore nuit et il pleut. Les températures sont proches de la solidification. Mes yeux semi-ouverts cherchent dans l’obscurité une once de motivation à sortir affronter ce Mordor aquitain. Et cependant, mon mécanique squelette me jette dans la voiture et en met automatiquement le contact. Auvillar, tu m’attires, c’est plus fort que moi.
“Plantée là entre ciel et terre, terriblement ancrée et cependant aérienne, volatile, Auvillar est un passage.”
Les premiers kilomètres me font prendre de la hauteur, j’émerge de la brume comme un périscope. Les arbres mouillés retrouvent leurs couleurs. Je recontacte mon corps sous l’effet de la soufflerie tiède. Le jour et le brouillard se lèvent alors que j’entre dans le Tarn-et-Garonne.
De l’autre côté du fleuve trône Auvillar, monticule sculpté, forteresse généreuse. J’y pénètre à pied par la Tour de l’Horloge, gardienne déterminée d’un autre monde. En effet, je débouche alors sur un système labyrinthique doucereusement médiéval, rues biscornues, pavés impolis.

Pièce maîtresse de cet enchevêtrement organisé, la halle centrale et circulaire donne le tournis. Ses piliers endormis lui donnent un air de manège onirique. On y entre pour se perdre. Chaque ouverture donne sur les arcades de la place, sorties de secours en trompe-l’œil, pièges symboliques pour promeneur pressé.
À l’occasion, une ruelle débouche sur un panorama sans pareil sur la vallée de la Garonne encore nimbée de filaments brumeux. Une autre m’emporte vers le mastodonte de pierre qui tient ici lieu d’église. Un château découpé dans la roche, dont les murailles s’en vont dans toutes les directions. Un ouvrage aux traits aussi fins que ses fondations semblent lourdes. J’en ai le souffle coupé.

Plantée là entre ciel et terre, terriblement ancrée et cependant aérienne, volatile, Auvillar est un passage. Passage horizontal sur les chemins de pèlerinages. Passage vertical, des basses vallées aux sommets nuageux de ses tourelles. Passage multidimensionnel enfin, à l’image de l’explosion sensorielle qu’elle a causée en moi. Auvillar, m’aurais-tu donc perdu jusqu’à me retrouver ?