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Si vis pacem, pars à vélo ! #6

Passé une nuit à l’hôtel Verona. Chaleur, moiteur agréables.

Confort, toi qui nous as manqué, te voilà proposé à nous, à Milano, vrai lit, vraie douche, vrais chiottes…

Mais se sent-on mieux ? Déjà, je n’ai pas bien dormi dans ce four à pizza, me relevant pour boire, me tournant et me retournant dans mon unique drap pas en soie. On a beau faire l’apologie des hôtels en regard du camping, l’habitude de la tente ne se perd pas en une nuit. Et cette nuit, le sol dur et bosselé, le duvet moite, la soie et les insectes m’ont manqué. On exagère, bien sûr. Car l’assurance d’un camp de base sécurisant et réconfortant plein d’accessoires inutiles mais utilisables et ce au cœur d’une cité épuisante comme Milano, c’est un luxe qu’on a bien fait de s’autoriser. Visiter à pied la capitale de la Lombardie, c’est quand même chouette.

“…nous restions tout de même aux aguets, dressés sur nos coudes dans nos sacs à viande.”

Hier soir. Palazzolo sull’Oglio.

Tout allait pour le mieux puisque, après quelque errance, nous trouvions un guide pour un lieu de campement, lequel semblait correct, bordure de canal, peu de monde, air frais. Et malgré la déception de voir un spot nous aveugler dès vingt-deux heures, nous nous couchâmes là, las. Julien même dormit.

Mais peu, puisqu’une heure après une lampe torche vint, en renfort du spot, fouiner en nous comme dans un livre ouvert. Phares de voiture, imaginions-nous, mais nous restions tout de même aux aguets, dressés sur nos coudes dans nos sacs à viande. Le rond de lumière se faisant baladeur, nous serrâmes les cœurs, les poings et les dents dans un mélange de curiosité et de stress, la peur aidant.

Cette fraction de seconde dura une demi-journée, jusqu’à ce que le pont au-dessus du canal craquât et qu’une voix dure éructât un « Polizie ! » qui voulait tout dire. J’ouvris la moustiquaire pendant qu’une main noire tendait un insigne. Il était évidemment interdit de camper ici.

Baragouinant au possible parmi les vélos, nous tombâmes tous quatre sur un accord : décamper proprement dit avant neuf heures le lendemain.

Soulagement partagé, prompt rendormissement pour Julien, quand déjà de nouveaux bruits se profilaient à mon horizon sonore : jeunes en vadrouille nocturne, haussant la voix au possible comme pour nous signifier leur présence… Restant en éveil par crainte pour nos vélos, je ne fermai l’œil que trop tard, au moment où les jeunes fatigués laissaient la place aux pêcheurs du matin, pas moins bruyants, pas plus compréhensifs.

Alors que les cloches n’avaient cessé de tintinnabuler toute la nuit, elles sonnèrent enfin sept heures, le temps pour nous de filer, ni reposés ni réveillés, emplis de rancœur envers les générations de vagabonds et, un peu, les moustiques.

à suivre…


Si vis pacem, pars à vélo ! #5

Ça a sonné comme une évidence. Jamais, avant de partir, nous n’avions dormi tous les trois ensemble dans la même tente. Ensemble, nous n’avions jamais pédalé, pas plus que voyagé dans des pays étrangers ou préparé des repas.

Tant d’expériences que nous n’avions jamais vécues ensemble et, mieux, que beaucoup nous imaginaient, raillant, ne pas pouvoir supporter, ne pas savoir gérer.

“L’euphorie n’est pas vraiment retombée. Je est vraiment un autre.”

À tort, puisqu’une semaine après, on est vivants. On est vivants et en pleine forme, battant des records de vitesse, de kilométrage et surtout de temps sur la selle, la route aidant, mais quand même.

Ce texte est donc dédié à tous les Joan, les Albert et les Christian qui nous voyaient déjà séparés, crevés ou perdus à cette date. Date à laquelle il n’y a encore eu ni de gros coup de gueule, ni de crevaison, ni de demi-tour.

Et ça, ça aide à croire et ça donne foi pour la suite, même si, par Saint-Bernard, on n’est qu’en Italie.

L’euphorie n’est pas vraiment retombée. Je est vraiment un autre. Nous avons franchi une étape — la première — celle des découvertes, découverte de la vie de nomade, de la vie de groupe, du voyage à vélo. Et la routine qui s’est installée à ces sujets n’est en aucun point négative ; elle n’est qu’un tremplin pour la suite et pour de nouvelles aventures qui, de fait, s’offrent à nous. L’habitude implique le temps. Le temps de rencontrer, de dessiner, d’écrire, de lire. Le temps de voyager.

à suivre…


Si vis pacem, pars à vélo ! #4

Ce soir, c’est les vacances. Des vacances bien méritées après Zimone et ses pentes à dix pourcent qui finirent de m’achever.

“Des horaires quasi-fixes et pourtant sans à-propos.”

Plus tôt, j’avais été touché par notre premier contact avec le monde qu’on a laissé : internet. Recevoir des nouvelles de personnes déjà oubliées, ça m’a fait mélanger souvenirs et questions. Ce genre d’anachronisme vous ballonne l’estomac et vous pousse à la fatigue, au doute, à la peur. Pire, je n’ai pas subi ces sentiments uniquement lors de l’instant concerné, mais ils m’ont poursuivi encore pendant plusieurs heures. Je pédalais dans le brouillard. J’étais plongé dans un état d’esprit second et néanmoins particulier.

J’ai oscillé ainsi tout le reste de l’après-midi, entre deux eaux, entre deux chaises. Heureusement, un événement positif a soudain balayé les toiles d’araignée et m’a fait complètement oublier la part d’ombre, le revers de la médaille, l’ubac sinistre.

Une journée de repos et huit heures de belote tchèque plus tard, nous voilà repartis sur nos fiers destriers. Le mien m’avait particulièrement manqué et, en plus, il m’a fait attendre, le bougre : il avait crevé tout seul pendant la nuit.

Pimpants et claudiquant, pompeux et dérivant, pour combien de temps encore ? La routine, qui s’est officiellement installée depuis quelques jours, ne nous quitte plus. Moustiques et loustics mis à part, nous nous enfonçons dans nos habitudes, au point de rythmer notre journée avec des horaires quasi-fixes et pourtant sans à-propos.
Se lever, déjeuner, ranger, embrayer, débrayer, acheter, manger, boire, débrayer, embrayer, se débrailler, s’installer, dormir, manger, dans cet ordre ou dans un autre, sans sortir du rang.

Mais le côté positif, c’est qu’on est au courant : en apprivoisant la routine, nous la dépassons déjà.

à suivre…


Si vis pacem, pars à vélo ! #3

étape précédente

Nous sommes réveillés assez tôt par la sonnerie du réveil. Dans l’herbe humide j’essaye d’ouvrir les yeux et j’y parviens enfin devant la tasse de thé que nous offre notre hôte. L’orage a cessé ; nous ne tardons donc pas à nous faire prendre par nos montures et à filer vers l’est.

Col des Mille Martyrs, tunnel des Échelles, col de Couz : route pittoresque, avant la descente en grand plateau jusqu’à Chambéry.

“C’est vrai que j’ai poussé. J’ai sué. J’ai serré les dents. J’ai serré les virages. J’ai serré les mains sur les cornes de mon guidon.”

Le père de Julien pleure en nous apportant de l’huile, son frère en nous laissant après la baignade. Entre les deux, nous nous permettons une toilette quasi-intégriste et une lessive idem, dans un lavoir inondé de soleil. Un fermier accepte de nous laisser bivouaquer chez lui, alors à nouveau nous dormons sous la tente, dont nous n’avons pas planté le double-toit.

Mes genoux, qui menaçaient de me faire faux-bond la veille du départ, m’avaient fait redouter les Alpes. Mais dès les premières pentes, je me suis découvert des cuisses. Alors le Petit Saint-Bernard et ses trente kilomètres qui font rien qu’à monter ne seront pas finalement venus à bout de moi. C’est vrai que j’ai poussé. J’ai sué. J’ai serré les dents. J’ai serré les virages. J’ai serré les mains sur les cornes de mon guidon. Et, peut-être plus par esprit de compétition que par attirance pour l’Italie, j’étais le premier à poser ma bécane à deux mille cent quatre-vingt-huit mètres. Sentant tout à coup le vent givrer ma sueur, j’ai passé une veste, profitant de l’attente pour laisser descendre mon rythme cardiaque qui avait monté le col avec moi.

De l’autre côté de la frontière, la descente fut une autre paire de tartes. Pendant que Pablo et Julien filaient comme des bombes loin devant, je m’arc-boutais sur mes poignées de freins à m’en faire éclater les phalanges. Tout autour de moi, la pente se raidissait. J’en étais à me demander la différence entre tournant et virage quand nous fîmes une pause pour laisser refroidir les patins de freins et mon cœur. Le relief italien se fit plus doux vers Morgex ; alors, abattus par la montée ou par la descente, ou par le soleil, ou par les deux, nous tombâmes de nos vélos.

Sur un terrain de foot. Mus soudain par un entrain de secours, Pablo et moi trouvions chacun une nouvelle paire de jambes pour aller taper le ballon avec Fabio, malgré les trois heures douze de calvaire à roulettes que nous venions de subir.

à suivre…


Si vis pacem, pas à vélo ! #2

étape précédente

Raccrocher le téléphone m’a réveillé en sursaut et en sueur. Les voix dans mon oreille s’évanouirent, emportant avec elles le patchwork d’images qu’elles avaient dessiné dans ma tête. Je me retrouvai plus seul que jamais dans ma chambre de bonne sans chiotte, à regarder sans les voir les milliers d’ampoules qui font briller la Tour Eiffel. J’étais seul, mais j’avais désormais une longue route à la place du cerveau, sur laquelle un tout petit vélo m’emmenait déjà loin.

“L’excitation est là, latente, insidieuse. Il n’y a pas besoin de mots.”

Amélie, ma collègue de stage, m’écouta lui raconter mon embryon de projet avec un sourire berrichon. Et, alors que je me perdais dans les explications, elle avait déjà tout compris.

Elle sut immédiatement que j’étais assez créatif pour avoir eu cette idée, assez naïf pour y croire et assez fou pour la réaliser.

Elle fut la première avec qui je partageai la folie de mon rêve, et c’est ainsi qu’il commença d’exister vraiment.

Car on peut avoir des dizaines de projets, des centaines d’ambitions et des milliers de rêves, aucun d’entre eux ne se réalisera jamais si on les garde au fond de soi jalousement comme des secrets de pirate.


Bien que mû par un subtil vent intérieur qui pédale à ma place, je ne suis pas épargné par les problèmes techniques lors de ces premiers kilomètres. Ma chaîne déraille plusieurs fois, mes pneus ne sont pas assez gonflés, mes garde-boue frottent.

Je commence tout doucement à me rendre compte, il n’est jamais trop tard pour bien faire, que le cyclisme a ses points noirs, lesquels surgissent le jour du départ comme pour m’aider à comprendre l’ampleur de la course. Sans succès : ce ne sont pas quelques remous qui vont me faire chavirer, au moment où je suis encore fort ou peut-être moins faible, suant l’excitation, aveugle comme un amoureux. Pablo et Julien filent et moi avec.


Dans un fauteuil de bibliothèque, Pablo parle à tout-va. C’est vrai qu’il a la langue bien pendue, cet ami d’enfance, lui qui tient autant du voisin que du frère.

Il décrit à qui veut l’entendre ses projets en tout genre, les petits et les grands. Son ton est calme, posé. Il veut voyager. Partir à pied, marcher, passer les montagnes et les forêts, traverser les fleuves, les glaciers… On ne l’arrête plus. Son imagination le dépasse. Pas le temps de reprendre son souffle. Les mots s’accumulent, il a trop d’idées. Il parle de pèlerinage, de quête, d’aventure. Il vise la Mongolie, la Chine, l’Inde.

L’Inde. J’écoute plus attentivement. Je lui parle de notre rêve. Pablo me reprend au vol, pose les bonnes questions. S’y intéresse de près. Finalement, il est le premier à proposer de se joindre à nous et le seul avec qui, immédiatement, j’imagine cela possible.

“Plus rien ne nous arrêtera.”

On a aperçu une fermette au bord de la route, dans le lieu-dit Tolvon. Et on y coucherait bien ce soir, exténués que nous sommes. Qu’au moins un coin du terrain nous serve d’emplacement pour la tente et ce serait parfait.

Après avoir récupéré un minimum nos esprits et nos forces et avant que la pluie ne repasse, nous discutons stratégie. Car il n’est pas si évident d’aller sonner chez X pour quémander l’hospitalité !

Finalement, on va demander un peu d’eau pour nos gourdes, histoire d’engager la conversation. Et la technique fonctionne : on nous propose un carré de verdure derrière la maison, une table à l’intérieur pour souper et, puisque c’est ce qu’on a demandé, de l’eau.

Notre hôte, notre premier hôte, est un Isérois accidenté : tombé de moto, il marche à l’aide de béquilles.

– « Vous allez où comme ça ? s’interroge-t-il à la vue de nos fiers destriers harnachés comme pas permis.
– En Inde ! répondons-nous en chœur.
– Et d’où venez-vous ? »
Un temps ; on se regarde :
– « De Saint-Antoine, à soixante kilomètres d’ici. C’est notre première étape. »
Le type est souriant, encourageant.


Tous les trois autour d’une table, nous nous regardons dans les yeux. Pablo, Julien et moi. Dans la pièce, il se dégage une atmosphère de sérénité. Personne n’a peur. Pourtant, les cœurs battent, les yeux clignent, les mains tremblent. L’excitation est là, latente, insidieuse. Il n’y a pas besoin de mots. Julien regarde Pablo, Pablo me regarde, je regarde Julien. Julien me regarde, je regarde Pablo, Pablo regarde Julien. Sérieux, engagés, décidés, nous avons tous ce petit sourire en coin qui masque mal la joie.

Nous nous regardons encore, dans les yeux, Julien, Pablo et moi, et tout à coup jaillit un : « On le fait ! »
Plus rien ne nous arrêtera.

à suivre…


Si vis pacem, pars à vélo ! #1

J’ai enfourché mon vélo sans me retourner ; comme c’est facile quand enfin l’heure arrive ! Quand les rêves prennent corps, on ne regarde pas derrière, on ne regarde pas devant, on regarde au-delà. Un premier coup de pédale m’emporte, oh, pas bien vite, pas bien loin, mais il m’emporte, et déjà je ne suis plus là. Je suis parti.

Huit heures ont sonné et je traverse la cour d’où nos familles et nos amis chantent encore nos adieux. Le gravier du mail sur lequel je déboule, un peu trop tout feu tout flamme, manque de me faire déraper. Beaucoup de gens sont venus s’étonner de nos chargements, mais je ne les vois pas. Je décide de fermer mon esprit et de le concentrer sur la route. Mes adieux sont déjà faits. Et inconscient, même pas je ralentis, je file : ce vendredi premier août, je l’attends depuis tant de mois !

Tout moi était orienté vers cette date. Et les événements se sont déroulés de telle sorte que, progressivement, je me suis lassé de chaque caractéristique de mon quotidien, de chaque personne de mon entourage – jusqu’à cette fille, qui m’excitait de moins en moins et m’ennuyait de plus en plus.

Passent les tilleuls, crissent les petits cailloux sous mes Michelin tout neufs, me voici dévalant les rues de Saint-Antoine l’Abbaye.
Mais je ne pense pas à freiner, non, je pense que je suis enfin sur la route de l’Inde.

Soixante-dix petits kilomètres pour nous préparer à six mois intensifs, les gens nous prenaient pour des fous.

La lune éclaire ma chambre par intermittence. Les meubles sont silencieux. On sent la fin des vacances. Ça fait une heure que je tourne dans mon lit et je ne trouve pas le sommeil. Demain, c’est la rentrée, c’est Paris, c’est grisonnant. À presque vingt ans, on n’a jamais vraiment envie de rentrer.

Je voudrais plutôt voyager, vivre au grand air, faire des rencontres. Et des sourires. Je pourrais retourner en Inde, comme je me l’étais promis. Le pays de mon grand-père, que j’ai visité trop rapidement il y a trois ans… M’installer là-bas, au moins un temps. C’est vrai que j’y ai plein de contacts. Ce serait vraiment vivre autre chose que les études, que la ville.

Mes yeux commencent à s’habituer à l’obscurité. Je m’assieds sur mon lit. En Inde, je pourrais aider une association, faire des études. Ou chercher du travail. Vivre, quoi.

Je ne peux plus dormir. Mon imagination tourne en surchauffe. Je fais mille plans sur la comète.

Je pars en Inde.


Nous voici à l’abord de la départementale. L’univers est banal au milieu de l’été, le Sud-Grésivaudan est fidèle à lui-même et c’est probablement l’une des raisons de l’absence de stress : nous sommes sur une route que l’habitude m’a fait apprendre par cœur, comme une déclinaison.

– « Alors là, vous en avez du courage de partir d’un coup comme ça pour dix mille kilomètres…
– Ben tu sais, ce matin on commence par Saint-Marcellin et ce soir, c’est à peine si on aura atteint Voiron ! »

Les plus réalistes titillaient mon courage, mais j’expérimentais déjà le nomadisme : en fixant les objectifs par paliers, la vie est au présent et léger est le poids de l’ambition.

– « Ça vous fait pas peur de partir en Inde, juste avec vos petites jambes, là ?
– Vous imaginez le nombre de galères, les risques, les accidents qui vous attendent ? »

La liste est longue des questions que nos proches, avec leur vue d’ensemble et, parfois, leur expérience, égrenaient pour éprouver notre naïveté. Mais celle-ci tenait bon !


Assis sur un banc de la gare de Lyon, Julien parle de vélo. Il est très excité. C’est mon meilleur ami. Son regard trahit l’envie, sa barbe de trois jours frétille. Il rêve. Ses mains dessinent une route sans fin, il mime le cycliste qui y roule. Et qui y roule encore. De son sac, sans s’arrêter de parler, ce grand dadais aux jambes déjà arquées sort des magazines de vélo. De voyage à vélo. Son pouls s’accélère. Chaque page qu’il tourne lui donne une nouvelle impulsion. Il est à vif. Il veut partir. Il montre du doigt les photos de cyclo-voyageurs traversant des continents entiers. À vélo dans la jungle, à vélo dans le désert, à vélo sur la Route 66… Il tremble tellement il en a envie, de sauter sur une selle pour partir au bout du monde.

Son train arrive finalement. Il peine à sortir de son rêve et à lâcher les pédales pour monter dans le wagon. Un autre train l’a déjà emporté.

D’ailleurs, l’unique succédané d’entraînement auquel nous nous étions pliés pour préparer ce marathon cycliste fut une promenadette dans les Cévennes.

Un microtour entre Saint-Roman de Codières, Monoblet et Saint-Hippolyte du Fort.

Deux jours durant lesquels pédaler fut, au milieu de valses, de pizzas, de rap, de belote, de trois moutons à la broche et de cent pélardons, une simple distraction parmi beaucoup d’autres.
Soixante-dix petits kilomètres pour nous préparer à six mois intensifs, les gens nous prenaient pour des fous.

Mais nous, on passera partout.

à suivre…


Villers-sous-gouttes

La route se bocagise à l’odeur de la mer. Les colombages se rebiffent. Puis on émerge de la verdure, jusqu’à atteindre l’orée de la France et sa limite liquide. Surface bleue à l’arête parfaite, à peine brisée par des bâtiments aussi obscures que lointains. Et par le Havre, bien sûr, dont la netteté du port annonce de tristes intempéries.

“Tout à la fois se font entendre le tonnerre, la pluie et une voix dans le micro annonçant “drapeau rouge, baignade interdite !“”

La plage est clairsemée et je n’arrive pas à savoir si c’est par l’imminence de l’orage ou celle du déjeuner. La mer est haute, lèche les cabines. L’étroite bande passante qui reste semble de sable fin, galets et coquillages étant dissimulés sous les rouleaux. Encore pour quelques minutes, le soleil fait scintiller le tableau.

Villers-sur-Mer par Cochet

Je tourne le dos au spectacle de la nature pour contempler celui des hommes, cet empilage de villas grand siècle à flanc de falaise. Me frayant un chemin entre les joueurs de mölkky et les mouettes qui fouillent dans les affaires des rares baigneurs, je plante mes pieds dans le sable villersois et entreprends d’en illustrer le front de mer.

Le temps de détailler les habitations bourgeoises qui descendent du grand escalier au bord de la Manche — aboutissant en ce cheptel fossile qu’on appelle les Vaches Noires — que la lumière s’éteint. Tout à la fois se font entendre le tonnerre, la pluie et une voix dans le micro annonçant « drapeau rouge, baignade interdite ! »

“Il est marée basse moins le quart”

Commence alors une valse humide entre la plage d’où entre chaque averse je dessine et la terrasse couverte du Hurricane Bar, d’où j’écris. Un après-midi créatif typiquement normand rythmé par des éclaircies heureusement fréquentes. L’occasion aussi de me mêler aux vacanciers qui régulièrement s’agglutinent sous les entrées d’immeubles et les arrêts de bus.

Villers-sur-Mer par Tchandra Cochet

Il est marée basse moins le quart quand je jette l’éponge et replie mon carnet involontairement aquarellé. Je m’essore. Le temps d’arriver en haut de la très verticale rue des Bosquets, le facétieux soleil est déjà de retour ! Villers-sur-Mer est dans son jus et mes pieds, couverts de sable.


Vivez la Normandie bien à l’abri chez vous !

Saint-Antoine, mon moyen-âge

Il est temps pour moi de remonter les goulets de mon histoire en vous livrant une version quelque peu nostalgique de Saint-Antoine l’Abbaye. Blotti on fond de mon cœur et du Sud-Grésivaudan, ce joyau de molasse médiévale continue de resplendir jusqu’au Sud-Ouest de ma nouvelle vie.

“On longera les épais murs du Palais abbatial à la rosace émouvante”

L’église abbatiale, solide bloc de pierre jauni et arrondi par les siècles, trône tout en haut, entourée du Gros mur, du Grand escalier et du Grand terrain. De son parvis s’écoulent variété de ruelles, qui alimentent les faubourgs, s’immisçant entre et sous les maisons. On les dévale volontiers, pour aller faire ses courses ou trempette dans le Furand.

Quitter les quartiers populaires du bas du village pour retrouver les marchands du temple de la bourgeoisie touristique, dont les étals s’approchent toujours plus de l’édifice religieux, peut se faire de deux manières. La plus directe consiste à se fouler les chevilles sur les galets inégaux des goulets de passage. La seconde, à s’embourber dans le Sentier du flâneur qui contourne le bourg par la forêt, longeant la butte castrale cimetiérisée et traversant à gué le petit ruisseau.

En haut, on longera les épais murs du Palais abbatial à la rosace émouvante, avant de redescendre sur le mail s’étancher au Bélier rouge ou aux Tentations. L’occasion sans doute de se remémorer les hauts faits millénaires de ce lieu de pèlerinage, de la lutte contre le Mal des ardents et ses expérimentations chirurgicales à la victoire de l’USEA l’année dernière, en passant par les nombreuses transgressions enfantines qui ont parcouru avec moi la commune et ses souterrains secrets.

Car Saint-Antoine reste et demeure un espace de rencontres, un forum où païens et religieux, paysans historiques et artistes néo-ruraux, footeux, touristes, enfants, commerçants, historiens et artisans, tous se réunissent autour de l’amour de ce village hors du temps.


Plus beaux souvenirs de France © :

Die un autre jour

Après Crest et Saillans, j’aboutis mon périple val-de-drômois à Die. Die, c’est une route particulièrement longue raclant le Vercors et enserpentée par la rivière. Des boîtes en tout genre, des caveaux classés et une voie ferrée quasi-désaffectée jonchent ses bas-côtés. Les appas de la ville sont vraisemblablement ailleurs. J’entrepose ma voiture sur un vulgaire parking de supermarché et continue tout droit, mais à pied.

“Finalement la lumière vient des ruelles perpendiculaires”

Le vieux centre-bourg est autrement caractéristique. On peut toutefois y lire une certaine apathie, où les constructions s’affaissent sur leurs commerces fermés. Finalement la lumière vient des ruelles perpendiculaires, qui ouvrent des fenêtres sur la Croix de Justin et les vertes montagnes qu’elle domine.

Die par Tchandra Cochet

La rue poursuit sa mission rectiligne et s’élève en viaduc, pour mieux admirer les vestiges conventionnels et la cathédrale Notre-Dame. Puis mes pas me déposent devant le cinéma, fermé également et en apparence aussi déprimé que le reste de la ville. Déprimé mais… occupé.

“Un squat anti-tristesse qui ne demande qu’à s’exprimer”

Et quand je pénètre l’arrière-cour de ce cinéma occupé, un rayon de vie, une odeur d’amour m’enveloppent. Un air de fête. Un four à pizzas, autour duquel un attroupement hétéroclite se rencontre, rit, déjeune, pense et bavasse. Résistants à l’inertie circonstancielle, pétillants de la vie qu’ils promeuvent, les occupants mettent à l’affiche le monde de demain. Die ne mourra pas aujourd’hui.

Ces joyeux maquisards m’ayant dégoupillé le cœur, je fais le chemin inverse avec un tout autre regard. Je vois derrière chaque porte close un feu, une puissance en devenir, un squat anti-tristesse qui ne demande qu’à s’exprimer. Les murs vibrent de cette lumière intérieure, la cathédrale entre en transe. Die se transcende. La vie dansera toujours.

Cinéma occupé de Die

L’art est mouvant :

Saillans Labyrinthe Participatif

La Drôme creuse sa gorge et j’entre dans Saillans. L’avenue principale, celle qui, tournant le dos aux Trois Becs, remonte du pont jusqu’à la mairie, est à découvert sous des températures méridionales. Ouverte et large à l’image de la vallée, elle voudrait prendre toute la lumière et éclipser les attirants secrets des falaises de façade.

Les Trois Becs depuis Saillans

En effet, de part et d’autre de cette évidence, l’architecture a percé d’innombrables couloirs, troglodytes artificiels. Le soleil s’y faufile, y cherche son chemin. Aussi le promeneur, qui hésite, tourne à angles droits, revient sur ses pas ; reconnaît ce mur, pas celui-là. Il n’y a ni sortie ni envie de sortir. La spirale saillansonne est carrée.

“Les habitants s’expriment, animaux-totems. Labyrinthe participatif.”

Heureusement ces goulets d’étranglement sont gaiement — et minutieusement — décorés. Grenouilles, cigognes et autres gargouilles de plastique pavanent sur les murs. Les habitants s’expriment, animaux-totems. Labyrinthe participatif. Et devant l’absence d’issue, l’abandon, le non-agir, la contemplation de ce zoo bigarré restent la meilleure des réponses.

Saillans Labyrinthe Participatif

De temps à autre surgit l’église Saint-Géraud, parallélépipédique et romane. Elle dresse devant moi son plat clocher, mirador pour minotaure, minaret, mandat d’arrêt. J’ai besoin d’espace. Je m’extirpe miraculeusement de ce piège géométrique et prends du recul sur l’autre rive. Saillans s’y donne un air de défi, mais se cache derrière les grands arbres.

“Drômoise géode, Saillans ne se dévoile qu’avec confiance, qu’avec patience.”

À la considération de ces proprettes devantures, impossible de deviner la complexité architecturale et les méandres démocratiques que Saillans recèle en son cœur. Drômoise géode, elle ne se dévoile qu’avec confiance, qu’avec patience. Il faut la vivre de l’intérieur, la côtoyer, la ressentir pour goûter à ses mystères. Et encore ce ne seront là qu’hypothèses et interprétations, car aucune science jamais ne définira intégralement Saillans l’insaisissable.

Saillans Drômoise Géode

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